Les USA ne sont plus ce qu’ils étaient : des militants d’extrème gauche élus
Les USA ne sont plus ce qu’ils étaient
des militants d’extrème gauche élus
Kshama Sawant, la nouvelle voix des travailleurs américains
L’élection de Kshama Sawant au conseil municipal de Seattle a fait les gros titres à travers le monde entier. Pourquoi donc cette victoire inattendue aux élections municipale d’une ville située sur la côte ouest, surtout célèbre pour le personnage de série Frasier Crane, a-t-elle autant attiré l’attention des médias ?
Mêmes ses habitants disent que la politique à Seattle est « vraiment ennuyeuse. A part quelques exceptions, nos élections municipales, c’est essentiellement des fêtes de la saucisse pleines de personnes agées ». Peut-être parce que Sawant était une outsider, une immigrée qui a fait campagne contre le Parti démocrate de la ville et a renversé un candidat qui briguait un cinquième mandat. Mais c’est surtout parce qu’elle est socialiste.
Car c’est bien cela qui a tant surpris les commentateurs. Cela faisait des années que quelqu’un faisant campagne sur un programme socialiste n’avait pas été élu aux Etats-Unis. Est-ce une exception ? Kshama Sawant est-elle un hapax politique ? Ou est-ce le signe que quelque chose est en train de changer aux Etats-Unis ?
Sawant a indéniablement mené une campagne fantastique, qui a rebattu les cartes de la politique à Seattle. Dynamique, créative, populaire, la campagne a déplacé le débat politique vers la gauche. En luttant sur des thèmes tels que l’augmentation du salaire minimum à 15$ de l’heure, la syndicalisation des employé-e-s des fastfoods et la régulation des loyers immobiliers, elle a forcé les autres candidats à prendre position sur ces questions. Le 5 décembre, par exemple, 4 des 8 autres membres du conseil municipal ont participé avec elle à une manifestation de soutien aux employé-e-s des fastfoods grévistes et qui défendait également le salaire minimum à 15$ à Seattle.
Seattle, Minneapolis, Lorain County :
les nouvelles places fortes de la gauche américaine
Mais elle n’est pas la seule à avoir fait les gros titres des élections de novembre dernier. A Minneapolis, la plus grosse ville de l’Etat du Minnesota, dans le Midwest, il n’a manqué que 229 voix à Ty Moore (membre comme Sawant du petit groupe trotskyste Socialist Alternative) pour être élu au conseil municipal.
Minneapolis et Seattle sont des grosses villes, où il existe une importante tradition radicale ; mais la troisième surprise des élections de novembre est venue du très discret comté de Lorain, dans l’Ohio. Située aux abords du Lac Eerie, la plus grosse ville du comté ne dépasse pas 64 000 habitants. Cependant, le comté est désormais doté d’une vingtaine de conseillers syndicaux indépendants.
Le Labor Council, le principal syndicat du comté, a en effet décidé de présenter ses propres candidats, fatigué des trahisons à répétition du Parti démocrate local. En cause, la décision du maire démocrate, soutenue par son parti, de casser un accord que les syndicats locaux avaient réussi à négocier qui garantissait l’embauche de travailleuses-eurs du coin et issu-e-s des minorités ethniques sur des contrats publics. Le maire a par ailleurs brisé une grève du syndicat de routiers Teamsters for a Democratic Union en empruntant les camions d’une ville voisine.
Contre toute attente, tous, à l’exception de deux candidats, ont été élus. Joshua Thornesbury, enseignant, a même réussi à ravir son siège au président de la Chambre de commerce local.
La défaite des syndicats américains
Il est clair que les travailleuses-eurs américain-e-s ont besoin de faire entendre leurs voix. Non seulement les salaires et les conditions de travail sont la cible d’attaques néolibérales à répétition depuis plus de 30 ans, mais le filet de sécurité de l’Etat social, qui protégeait un minimum les travailleuses-eurs, ne cesse de se déliter davantage. Le crash financier et la crise de 2008 n’ont pas ralenti ce processus, au contraire : l’élite financière américaine a fait payer les coûts de la crise à sa force de travail, déjà fortement affaiblie.
La reprise économique n’a pas, elle non plus, inversé la tendance. 95% des bénéfices de la croissance de ces dernières années ont été empochés par les 1% les plus riches. Ceux-ci perçoivent désormais 20% du revenu brut total, soit deux fois plus que dans les années 1970. Les Etats-Unis sont peut-être la société la plus riche au monde, mais c’est aussi la plus inégalitaire.
Il ne faut pas chercher bien loin pour identifier les causes de cette situation. Le mouvement ouvrier américain est battu en brèche depuis la Seconde guerre mondiale. La densité syndicale (le taux de syndicalisation de la main-d’œuvre) a atteint 35% en 1954, mais son indépendance a été détruite par l’hystérie anti-communiste des années 1950, lorsque des milliers de syndicalistes ont été virés de leurs organisations, et de leurs emplois.Dans les années 1970 et 1980, l’attaque a redoublé d’intensité : des industries entières ont été rayées de la carte et l’anti-syndicalisme de la maîtrise et des managers s’est affirmé davantage. Aujourd’hui, seuls 7% des employé-e-s du secteur privé sont syndiqué-e-s.
Les laquais des patrons
Le bipartisme américain joue un rôle central dans la reproduction de cette domination néolibérale. Aux Etats-Unis, les principaux (et en fait, les seuls) partis sont des partis qui servent directement les intérêts de la classe dirigeante, ce que les marxistes appellent parfois des « partis bourgeois ». La fonction du Parti républicain comme du Parti démocrate est de reproduire la domination de la classe dirigeante sur la société et l’économie, notamment en diffusant son idéologie.